La journée avait été étrange et il avait l’impression de flotter. Saruta Hiko n’avait pas l’habitude de sentir la mélancolie étreindre son cœur. Pourtant, se réveiller encore seul dans son lit au petit matin avait entaché le peu de bonne humeur qu’il possédait. Il s’était habitué à ce que son épouse ne soit pas à ses côtés. Pourtant, aujourd’hui c’était difficile et Uzume lui manquait. Il aurait pu se contenter de rester dans les jardins à son nom. Les mains plongées dans la terre, le vent qui soufflait dans ses cheveux coupés courts. Son hakama qu’il portait le faisait sentir bien. Perché sur ses getas, il était accroupi, concentré et dans ses pensées. Rien ne pouvait le déranger. Les rares passants qui continuaient de venir en fin de journée le saluaient d’un signe respectueux de la tête avant de s’en aller. Le kami leur rendait leur bonjour. Ici, il était en paix, il ne devait rien à personne, même s’il n’avait jamais rien dû à personne, sauf à certains kamis majeurs et encore. Il avait été craint autrefois sur son pont céleste, respecté. L’était-il encore ? Il pensait que oui, mais aujourd’hui, il en doutait.

Il devait trouver Maiko, lui parler. S’il attendait sur elle qu’elle se manifestât, il n’aurait aucune nouvelle, c’était ainsi. Il cessa de travailler alors que le soleil se couchait et qu’il essuya ses mains sales sur un torchon à cet effet. Il était décidé à rentrer chez lui pour se laver. Il aurait pu se rendre au palais des bains, mais il n’avait pas envie de croiser les autres esprits ou créatures. Un commentaire déplacé ne manquerait pas de le faire sortir de ses gonds malgré sa froideur habituelle. Il savait où trouver Uzume, mais il devait attendre qu’elle ait fini à l’izakaya. Ils pourraient discuter en paix même s’il n’avait aucune idée quoi lui dire. Il était toujours gauche et maladroit avec elle, si maladroit. Il était plus chaleureux avec elle qu’avec quiconque. Elle allumait un feu en lui qu’il croyait toujours mort.

Sentir l’eau glisser sur son corps l’apaisait, calmait son âme vieille et tourmentée. Il restait assis sur le petit tabouret dans sa salle d’eau rudimentaire, regardant la baignoire. Non, pas de bain ce soir, une autre fois. Il termina de se rincer avant d’aller enfiler un hakama propre. Certains jours, il s’habillait de manière plus moderne, mais pas aujourd’hui. Il avait besoin de se sentir à l’aise malgré son humeur très ombrageuse. Un soupir lui échappa alors qu’il passa une main dans ses cheveux courts encore humide. Il regarda l’heure, autant attendre vraiment tard avant d’aller à l’Izakaya. Quelques heures plus tard, il fut en route et arriva devant la petite brasserie. L’endroit dégageait une bonne odeur de nourriture et de bière. Lui, le kami ronchon, il se sentait nerveux, ridicule. Il ouvrit la porte encore ouverte et constata que les lieux étaient vides, normal vu l’heure. « Bonsoir Maiko. » Sa voix grave s’éleva dans l’air épais de volutes d’alcool alors qu’il chercha son épouse du regard. Elle ne devait pas être loin la connaissant. Il s’installa au bar. Son hakama était bleu foncé et il passa sa main rugueuse dans le début de barbe qui commençait à dévorer son visage. Il n’avait toujours pas réfléchi à comment lui parler sans paraître trop envahissant.