ukiyo, la résidenceT’es presque étonné de ne pas l’avoir
crevé. Funambule vacillant qui avance sur le fil d’une patience qui s’étiole dangereusement, la placidité factice qui s’amenuise tandis que la menace se noie dans ton regard assombri. Tes sclères se perdent un instant dans le
tableau dantesque qui s’étale en contrebas, funestes prunelles qui scrutent les pauvres âmes noyées par la grisaille tandis que tes lèvres tirent avidement sur la cigarette. Le bâton de nicotine roule entre tes doigts habiles, cendres incandescentes qui rougeoient dans l’obscurité, révèlent la présence du visage aux traits cisaillés par l’astre lunaire. Un soupir. Puis deux. Lippes qui recrachent quelques volutes de fumée avant de tressauter dans un tic agacé,
le tabac ne parvenant pas à apaiser ton irascibilité.
Trois heures. C’est le temps qu’il t’a fallu pour rétablir un semblant d’ordre dans les parties communes. Trois heures de dur labeur pour finalement réaliser que l’
odeur pestilentielle venue perturber ton sommeil de la nuit dernière provient bien de la chambre voisine. Et tu voudrais l’étriper. Pauvre petit humain qui n'a de cesse de te défier,
pustule venue perturber ta routine bien rodée. Quelques semaines t’ont suffi pour observer l’impudent se pavaner dans ton royaume de misère, antre farouchement gardée qu’il ne semble pourtant pas pressé de quitter. Tes sombres farces elles-mêmes n’ont su décourager l’étranger mal-luné.
Mais, ce soir, tout est calme. Trop calme.
Sérénité presque angoissante, tes yeux ne pouvant s’empêcher d’aller et venir entre la fine cloison qui sépare vos chambres et la fenêtre depuis laquelle tu le guettes. D’un geste sec, tu écrases le mégot au milieu des quelques autres qui peuplent le cendrier, traces odorantes qui attestent de ta longue attente. Une minute passe, puis dix. Temps qui s’égrène dans une lenteur démesurée,
renforce l’envie d’en découdre, confrontation longuement mûrie de l’autre côté de ces orifices percés pour mieux l’observer.
C’est la
crasse que tu discernes en premier. Silhouette sombre et hirsute qui se découpe dans la pénombre, le bruit de ses pas raclant contre les dalles usées. Sur son passage, les rares badauds s’écartent, moues écœurées qui dévisagent la pauvre carcasse souillée par le labeur.
Et t’aurais presque pitié si t’avais pas autant envie de l’étrangler. Puanteur qui s’élève jusqu’à ta fenêtre et te heurte de plein fouet, tes traits se tordant sous l’horreur à l’idée qu’il ne touche ne serait-ce que la poignée de la porte d’entrée.
Il ne te faut qu’une poignée de secondes pour te décider, maitre des lieux perdant de sa superbe alors que tu t’élances dans la cage d’escaliers, avales les marches sous de longues enjambées avant de t’écraser contre la porte d’entrée qui s’ouvre dans un claquement sourd, te précipitant au-dehors. L’or quitte les orbes,
obsidiennes ternes et humaines qui se posent sur l’autre qui semble décider à continuer son chemin.
Wait ! l’injonction s’échappe de tes lèvres tandis que tu te redresses pour le surplomber de tes maigres centimètres supplémentaires, ta main se portant instinctivement contre ton nez, l’ire brûlant au fond de tes yeux plissés. Il fait sombre et tu peines à distinguer les contours tirés de sa figure,
regard achromate qui papillonne, noyé dans le gris trop foncé de l’obscurité.
Where do you think you’re going? question rhétorique à laquelle tu t’empresses de répondre, le
sarcasme suintant de tes babines retroussées un sourire carnassier.
You didn’t think that you could go home like that, now... did you?Esprit capricieux qui souffle le chaud et le froid face à l’esclave de cette maudite Yubaba,
boulet aimablement jeté entre tes griffes et qui te cisaille à présent la cheville sans que tu ne parviennes à te décider sur le sort que tu comptes lui réserver.
おや, it stinks so bad… are you really working for her or is it your job to make a mess of this place? Un relent
putride t’assaille de nouveau et tu exécutes un pas en arrière, tes pupilles orageuses le détaillant de la tête au pied tandis que ta langue vient claquer contre ton palais.
Oh 자기야… you’re really a living mess… que tu finis par murmurer du bout des lèvres, voix suave qui jure avec la noirceur de ton regard.
おや - oya - mot japonais pour mon dieu
자기야 - jagiya - mot coréen pour trésor/darling