Pieds nus foulant le sol d’un pas léger ; plaisir simple dont tu ne t’es jamais débarrassé, cette recherche de sensations, ce besoin d’éprouver contre ta peau le murmure incessant de la terre, la caresse d’un parterre déjà fleuri, annonce précoce d’un printemps coloré. Tu avances sans but précis, savourant l’instant, les sens en éveil ; attentif au glissement du vent sur les feuillages et à l’odeur riche des forêts profondes, au clapotis régulier d’un ruisseau pas si lointain et au chatoiement du rayon de soleil à travers les branches.

Et puis, un mouvement, une silhouette qui se découpe, appuyée contre un arbre. Ta présence ne semble pas avoir été remarquée, alors à pas de loups tu t’approches, épies le jeune homme, ta curiosité piquée. Air concentré, graphite au bout des doigts, la pointe du crayon qui danse fébrilement sur la page vierge. Un artiste en quête d’inspiration ? Par dessus son épaule tu cherches vainement à apercevoir l’esquisse qui prend forme sans pour autant te révéler, mais la tâche est plus ardue qu’il n’y paraît et alors que ta cible remue, tu t’éclipses dans l’ombre du grand feuillu. La chance te sourit ; affaires négligemment délaissées le temps d’une absence qui se veut probablement brève et voilà que furtivement tu quittes ta cachette pour t’emparer du précieux carnet.

Un emprunt plutôt qu’un vol diras-tu, mais afin de t’assurer tranquillité en cas de retour prématuré, tu décides de gagner un peu de hauteur ; mains agiles qui agrippent et escaladent le bois avec aisance alors que tu prends place, bientôt avachi sur une branche avec la même lascivité que s’il s’agissait d’une méridienne de velours. Mille et un secrets qui s’offrent à ta vue sans gêne, portraits d’inconnus et yokais fantasques, détails complexes de plumes et de d’os, parfois annotés de l’un ou l’autre commentaire que tu parcoures avec fascination des yeux.

Perdu au milieu des pages, admirant les tracés, tu en oublies ton méfait, et déjà ta victime revient pour constater la disparition de son bien. Indiscret mais pas cruel, tu t’empresses d’incliner la tête vers le bas, agitant l’objet de ton larcin d’une main nonchalante.

« C’est ça que tu cherches ? » Question qui se veut rhétorique ; tu ne lui laisses pas le temps de répondre avant de continuer – il faut dire que tu aimes le son de ta propre voix. « Je dois avouer que tu as du talent, ce tengu en particulier est saisissant. »

Tel un enfant incapable de tenir en place, tu changes déjà de position, soudain assis pour mieux observer ton interlocuteur depuis ta hauteur. Tu ne vois cependant rien d’autre qu’une âme perdue, un simple mortel égaré. Voilà qui explique la fascination pour les masques et les monstres – humanité altérée et faciès changeants. Tu humes d’un air songeur, balançant tes jambes dans le vide. L’air mutin, inconscient de ta propre impunité ou de l’ampleur de ton audace alors qu’une idée te traverse l’esprit.

« Cela fait bien longtemps que personne n’a dessiné mes traits, je devrais peut-être te laisser un jour cet honneur ? Entre nous, cette collection manque de kamis.  »