L’eau du lac était profonde et sombre. Néanmoins, ce soir, c’était la pleine lune et chaque goutte d’eau semblait être de la poussière d’étoile. Les lucioles virevoltaient au-dessus, défiant les monstres marins de sortir la tête hors de l’eau pour les avaler. Était-ce les fées de cette douce soirée printanière ? Isamu les observait du coin de l’oeil et sourit face à ce beau paysage. Il réajusta son katana à sa ceinture et s’agenouilla pour se passer de cette eau scintillante sur le visage. S’éclaircir les idées était la première chose à faire quand on sentait la fatigue prendre le dessus sur tout le reste mais, s’il était ici à cette heure tardive, c’était parce qu’on l’avait envoyé en mission. Fidèle à sa maîtresse, gentil toutou prêt à tout pour s’accorder ses faveurs. Étrangement, cela ne l’avait pas dérangé jusqu’à aujourd’hui car il jouissait d’une certaine liberté à côté. Toutefois, jusqu’à quand supporterait-il la laisse ?
Il réajusta son masque qui ne cachait que la moitié de son visage. Ce n’était qu’une mission de reconnaissance mais il se demandait quelle lubie se passait encore dans l’esprit de la jeune femme. Tout le monde savait qu’il était dangereux de déranger les esprits - les yokais. La plupart était pour le moins agréable à vivre mais personne n’oubliait qu’il s’agissait de créatures surnaturelles. Lui n’était qu’un guerrier aux dons exceptionnelles. Il suivait une formation sur la métamorphose bien que ce ne soit pas facile mais il n’était pas sûr que cela lui soit utile pour cette mission… à moins qu’il aurait peut-être dû se montrer plus méfiant. Il ne bougea pas d’un millimètre jusqu’à se retourner vivement et saisir avec brutalité le bras du tengu et de placer une lame contre sa gorge.

« Je ne ferais pas ça si j’étais vous. »

C’était la première fois qu’il en rencontrait un et il ne sut quelle émotion le traversa. Son visage était caché sauf qu’il ressentait avec intensité l’aura qu’il dégageait de son corps. Les tengu n’étaient pas réputés pour être les plus dociles alors il ragea intérieurement. C’était son travail, il le savait mais il n’était pas sûr de faire le poids si un combat s’engageait.

@Anan

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mars 2021

Le corbeau, les griffes plantées dans les branches des arbres, étend ses ailes de part en part, les pupilles acérées, dressées vers la voûte étoilée. Ce soir, le temps est calme. Ce soir, Ankoku peut s’élever et s’envoler s’il le désire, voguer jusqu’à l’horizon sans jamais se brûler les ailes. Seulement, est-ce vraiment cela qu’il a envie d’appeler liberté ? Ses poumons se gonflent d’oxygène, s’interrogeant depuis des années sur cette véritable nature qui l’entrave depuis sa naissance. Volatile sombre dépourvu d’amour, ces membranes emplumées ont été coupées avant même d’avoir su se déployer. Et les souvenirs s’étendent, s’étirent, s’abandonnent souvent dans cette mémoire elliptique. Pourquoi se rappeler quand il est plus aisé d’oublier ?
Visage grossier, gracié, c’est à l’absence de son maître que le yokai tengu réfléchit. Une disparition, en est-il persuadé, pour quoi ? Parfois, il a le sentiment d’abandon qui revient, terrassant tout le reste : et si son maître était retourné dans le monde des vivants, patientant pour les prochains tengu qui auraient besoin de son aide ? Mais malgré toute la fierté et les sourires puissants qui s’affichent sous le visage d’emprunt, luisant au clair de lune, l’enfant barricadé en-dessous en demeure bien un ; gamin. Un soupir s’échappe de ses lippes avant que son attention ne soit attirée par une silhouette en contrebas. Voilà un peu d’amusement, sans doute, se dit-il. Il reste néanmoins quelques minutes en retrait, Ankoku, ses ailes repliées entre ses omoplates tandis que ses serres s’ancrent davantage dans le bois.
Le regard balaie la scène près du lac, se rendant compte qu’il s’agit d’un homme masqué. A l’évidence, il n’est pas un esprit surnaturel. Son aura n’agit pas avec tant de force. Alors, un instant plus tard, le yokai se rapproche et saute avec agilité derrière son adversaire – pourtant bien rapide. Ses lippes s’amusent à l’arrière de son masque peint et il ne tarde pas à répondre, la lame froide glissant contre sa pomme d’Adam. « Mais tu n’es pas moi, guerrier tremblant. » Il provoque, et il invoque. Ankoku dégaine son large éventail pour désarmer son adversaire, sa dague s’écrasant plusieurs mètres plus loin, plantée droite dans le sol. D’un croche-pied, le corbeau tengu fait tomber à la renverse le guerrier, le surplombant en bloquant son cou entre son éventail magique. Le masque de kitsune de l’homme semble s’animer et Ankoku y pose un index prudent, détaillant de l’oreille jusqu’à l’arête de la mâchoire.
« Les sorcières ont de moins en moins de moyens, à ce que je vois. A moins que votre rang ne soit qu’une vulgaire marionnette, comme tous les autres. » Il rit avant de hausser les épaules et de se remettre debout, arrangeant son kimono avant d’ajouter : « Qu’est-ce que tu fais par ici, l’humain ? » Jouant avec son éventail entre ses doigts, même s’il joue la désinvolture, Ankoku demeure sur ses gardes.

( @isamu )

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Et les petites fées s’envolèrent en illuminant le ciel et leurs deux frêles corps envoûtés. Il n’aimait pas les tengus, ils étaient synonyme de colère et de frustration. Celui-ci ne semblait pas échapper à la règle, même si, à l’évidence, il prenait un malin plaisir à le fourvoyer. Il ne désirait pas se battre avec lui parce que ce n’était pas la mission qu’on lui avait confié mais il se battrait si tel était leur destin. À peine rencontrés et ils se pointaient déjà des objets aussi tranchants que son katana au bord de la gorge. Il ne cilla pourtant pas, se contenta de rester sur ses gardes au moindre mouvement qui pourrait lui être fatal. Sans réellement savoir pourquoi, il désira savoir quel visage se cachait derrière ce masque. Quel besoin impérieux les tengus avaient-ils de se cacher ? Si ce n’était d’étendre leur domination sur ce qu’ils considéraient comme des êtres inférieurs à leurs rangs en leur prouvant qu’ils étaient indignes de les admirer dans toute leur splendeur. Néanmoins, au son de la voix de cette créature, il put deviner aisément qu’il était jeune dans le sens où cela faisait moins longtemps que lui qu’il était dans le monde des esprits. Rencontre intéressante.

« Et alors ? »

Il se redressa à son tour. Tel un fauve, il lui tourna autour pour le détailler et esquissa un sourire en l’entendant rire. Quel agréable son à ses oreilles que ce rire. Il n’avait pas souvenir d’en avoir entendu un pareil durant son existence à Kage No Machi. Peut-être un souvenir oublié. Elle le lui répétait souvent. Elle lui disait qu’il n’était qu’un vulgaire pantin qu’elle avait bien voulu ramasser parce qu’elle avait justement besoin d’une paire de bras supplémentaires pour ses sombres desseins. Elle lui avait appris ce qu’il était avant et lui avait même proposé de retourner à sa misérable existence. Il avait refusé sans même savoir pourquoi puisque tout s’était déjà effacé de sa mémoire alors, parfois, elle lui rappelait ce qu’il avait été et ce qu’il n’était plus qu’aujourd’hui. Une marionnette manipulée avec soin et dextérité mais il s’en fichait. Il jouissait de sa vie actuelle bien qu’elle ne soit pas la plus réputée et il était prêt à vivre jusqu’à en oublier ce vide à l’intérieur de lui. Peut-être avait-il donc entendu un rire pareil auparavant mais, ce soir, on lui en offrait un plus beau.

« C’est moi qui ai insisté pour le porter ainsi, dit-il, Pourquoi devrais-je cacher ce qui fait ma beauté ? »

Une faille. Il n’eut plus qu’à jouer de sa lame et faire voler à quelques mètres loin d’eux ce masque qui les encombrait car sa beauté n’avait rien à voir avec celle face à lui. Ses yeux rencontrèrent les siens et il sut avec certitude qu’il le désirait plus que n’importe qui au monde.

@Anan

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mars 2021

Et alors, quoi ? Le monde peut bien s’effondrer, ou continuer de tourner dans cette spirale infinie. Rien ni personne n’a jamais pu le changer et Ankoku n’a pas cette prétention. A l’évidence, il en a bien d’autres, tengu moqueur sous son masque sombre aux pupilles jaunâtres. Les guerriers sont des denrées qui abondent dans la ville fantôme et même si cela ne fait qu’une cinquantaine d’années qu’il foule les allées et les toits de cet endroit, le jeune homme n’est pas dupe. Les guerriers ont les oreilles qui traînent partout, délicieux pantins qui remontent de si nombreuses informations aux sorcières tapies dans leurs ombres. Ils ne sont que le menu fretin, ceux qui se font broyer les premiers. Qu’en est-il de cet homme à la carrure imposante ? S’il n’a pas réussi à désarmer le corbeau, peut-il prétendre vouloir jouer avec lui ?
Ankoku esquisse une moue contrite tandis qu’il replie soigneusement son éventail peint aux couleurs de ses maux afin de le ranger à sa ceinture. Son hakama rougeoie autant que son cou et ses mains halées, réverbères de l’astre lunaire qui les surplombe dans son jugement interminable. A cet instant, l’humain embauché se met à rôder autour de sa silhouette, désireux de le dévorer, désireux de découvrir la personne qui est cachée sous ce masque fantaisiste, presque grotesque. Et Ankoku aime cela. Il en roucoulerait presque quand la lame froide de l’arme de l’adversaire frôle à peine son visage, ôtant avec grâce le visage d’emprunt qui ricoche plus loin. « Alors ainsi déclares-tu que je ne suis pas aussi beau, sinon plus beau, que toi ? » Un sous-entendu qui ne manque pas de le faire rire une seconde fois, offrant ses prunelles brillantes aux yeux sombres de son interlocuteur. « Les hommes n’ont pas la notion de beauté et de subtilité. »
Il hausse les épaules, écartant son aîné d’un geste de la main afin de s’avancer vers son masque. Il le saisit doucement, s’accroupit vers l’étendue d’eau pour l’y tremper, le nettoyer de la terre incrustée, et l’enfouir dans un pan de son hakama. Glissant une main dans sa chevelure noire de jais, les pieds nus, le tengu revient vers l’homme qui n’a pas bougé. Il enfouit ses doigts glacés dans le cou pâle, caresses volages avant d’attirer l’oreille contre ses lippes frivoles. « La magie n’existe que dans nos songes, et pourtant, nous en voilà tous dépendants. » Parce que son aura percute avec intensité celle du brun. Parce qu’il sait, Ankoku, tout au fond de lui, qu’ici, perdu dans ce bosquet fleuri, il n’est pas le seul à souffrir de la mémoire sélective. Mais il ne laissera pas prendre à ce jeu d’émotions, pas aujourd’hui, pas cette nuit. « Essaie de m’attraper, guerrier. »
Et ses ailes se déploient, membranes noires emplumées pour propulser avec espièglerie vers la cime des grands pins. Dans un bruissement d’étoffes, ses pieds se déposent sur la branche la plus proche qu’il saisit entre ses serres et il agite la main avec malice pour le pantin en contrebas. Mais si tu m’attrapes, promets-moi de ne jamais m’abandonner. Menteur.

( @isamu )

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Le désir. Combien avaient désiré et n’avaient pas obtenu ? Combien avaient désiré et avaient décru en obtenant ? Isamu désirait beaucoup de choses. Il désirait se développer, s’améliorer, se libérer et la liste était longue sous ses pieds. Il désirait comme bons nombres d’esprits, de dieux et d’âmes perdus au sein de ce village et s’en retrouvait dans la plupart des cas pour le moins frustré mais c’était cette même frustration qui le poussait à se battre pour ses principes. Ce soir, on lui avait confié une mission et il entendait bien la remplir quel que soit l’enjeu. Le volatile désirait qu’ils s’amusent au chat et à la souris ? Il se prendrait au jeu et l’attraperait, même s’il n’était qu’un homme. Il n’avait pas la prétention de se déclarer fort et ne le ferait pas face au tengu mais il pouvait se targuer d’être agile et gracieux. Qu’il plane dans les airs, il saura à la perfection l’avoir toujours à vue d’oeil sans s’essouffler.
Il se délecta de ses mots et de ses caresses. Envoûté mais conscient. Tout ne serait que machinerie si l’on en croyait les dires de la créature céleste et il n’irait pas le contredire. Il était aux prises d’une sorcière à la magie dévastatrice qui lui avait peut-être lavé le cerveau dans le seul but qu’il puisse répondre à ses attentes. Il tuait pour elle, il plongeait dans le sang pour elle et cela ne le dégoûtait pas. Non qu’il irait dire aimer ôter la vie quand cela était nécessaire, simplement que cela lui permettait de garder un pied au sol. Souvenirs évanouis, serait-il capable de les rattraper au vol comme il souhaitait attraper le tengu ? Cela pouvait être des songes, des envoutements, cela ne restait qu’une porte du passé qu’il avait refermé derrière lui.

« Est-ce que tu insinues que je suis sous l’emprise d’une quelconque magie ?, lui demanda-t-il en sautant avec aisance sur une branche d’un arbre pour lui faire face après qu’il lui eut couru derrière pendant une dizaine de minutes, Mh, voyons voir. »

Il avait récupéré sa dague au sol pendant cette course-poursuite et l’attrapa entre ses doigts fins pour s’entailler légèrement son poignet droit. Il sourit en voyant l’expression de son interlocuteur et lui montra la goutte de sang qui en perla le long de son bras.

« J’ai l’air d’être conscient, lui dit-il, Je ne me suis pas targué d’être le plus beau, j’ai simplement dit que je l’étais. Qu’en est-il de toi ?, haussa-t-il un sourcil, Si tu continues à vouloir rester éloigné de moi, je ne serais pas en possibilité d’admirer la beauté de sa grandeur. »

Il fit mine de faire une révérence et se mit à rire. Il en avait rencontré des personnes au cours de ses dernières années. Les femmes restaient les plus belles créatures au monde qu’elles soient simple humaine, esprit ou déesse. Leurs courbes voluptueuses étaient agréables au toucher et il ne se lassait pas de les admirer. Toutefois, il y avait toujours des exceptions. Des êtres à vous faire tourner la tête, même hors de portée.

@Anan

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mars 2021

Alors il court, il vole, de branches en branches, d’arbres en arbres. Le cœur bondissant, l’âme suivant. Le reste, peu importe. Les serres s’accrochent et se décrochent, se plantent dans le bois tantôt sec, tantôt humide de cet endroit caché des regards curieux. Les ailes sont dépliées, un instant, afin de se stabiliser et les pieds nus redeviennent humains. Le guerrier ne le rattrape pas, mais il essaie. Il le suit et Ankoku ne peut que jeter des coups en arrière pour en être toujours bien certain. Il s’amuse, et le sourire qui fend son visage n’en est que plus radieux. Il ne se laissera pas avoir, sans pourtant vraiment distancer le garçon à ses trousses. Un futile jeu du chat et de la souris dans lequel ils ne sont ni l’un ni l’autre. Corbeau et renard, humain masqué ; ce jeu n’existe pas encore.
Les vêtements sont plus bruyants que leurs respirations. Les souffles sont entraînés pour passer inaperçus, comme cette agilité qu’ils ont déployée tous les deux. Le guerrier est moins rapide, mais aussi plus lourd par la charge de ses armes qui l’encombre probablement. Elles résonnent aux oreilles du tengu, les lames tranchantes qui ne demandent qu’à s’abreuver d’un sang frais. Mais ce ne sera pas le sien, cette nuit, non. Finalement, l’amusement n’est que passager et lorsque l’esprit farceur se dépose sur une énième branche, le guerrier finit par l’y rejoindre, visiblement tout autant conquis par cette poursuite. Et il le voit, dans ses yeux, qu’il a suscité son intérêt, qu’il a titillé cette étincelle morte en lui. Ankoku en est fier et, volatile, gonfle le poitrail comme pour parader avec bonheur devant cet homme qui s’est pris au jeu ; épris.
« Je n’insinue rien. Ce ne sont que des mots qui s’échappent, que tu construis comme tu l’entends. » Il le voit ensuite extirper de nouveau sa dague pour l’appliquer sur sa peau, plusieurs gouttes de sang dévalant ses phalanges rougies. Le yokai en demeure étonné, ne comprenant pas tout de suite où il veut en venir. Alors, il s’installe contre le tronc de l’arbre maître, les jambes nues battantes dans le vide en contrebas. Et s’ils s’écrasent, l’un ou l’autre ? « Moi ? » Et il se remet à rire, le gamin envoûtant. Un rire qui résonne dans les feuillages, les faisant presque frémir de cette candeur si vive. Le guerrier se courbe, le guerrier lui lance des fleurs et le tengu se pavane, vénéré et vénérable ? « Je suis beau pour les prunelles qui arrivent à voir au-delà des apparences. » Il lui sourit plus fort, une main glissée dans ses cheveux aussi sombres que ses ailes rangées là, bien au chaud, entre ses omoplates.
Puis, tout d’un coup, le jeune homme se redresse, accroupi, son visage si près de celui de son interlocuteur. « Allons, descendons à présent. Offre-moi donc au moins à boire ou à manger si tu désires me faire la cour comme il se doit. » Il surmonte ses paroles d’un clin d’œil entendu avant de ne pas se priver pour lui saisir la main et le faire revenir les pieds sur terre. Au sens propre, comme au figuré. Et le parfum, dans son sillage, tourbillon et menaçant tengu, a déjà emporté le guerrier dans ses songes les plus profonds. Ne sont-ils que le résultat d’un mauvais tirage ou l’histoire d’un avenir ? Seul le temps qui passe les en informera. Mais Ankoku sait déjà que ses lippes glacées brûlent pour rencontrer leurs semblables. Quel goût ont-elles ? Celui de l’amertume, du désarroi ou de l’avancement ?

( @isamu )

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Et il continuait de le désirer avec plus de passion cet esprit volage. Il y avait eu plusieurs passages auprès de son corps. Plusieurs jeux de séduction, jeux de charmes. Battements cils, regards envoûtants et envoûtés, voix enjôleuses, mains baladeuses. Les demoiselles se pavanaient devant lui derrière leurs éventails et les damoiseaux esquivaient le regard avant de cacher leur satisfaction derrière leurs masques. C’était aisé de s’approprier leurs grâces pour lui qui excellait dans l’art de charmer et il aimait cela. Plaire autant que d’être plu. Il se pavanait devant eux, entremêlant adresse et maladresse pour voir leurs doux visages se tordre sous des rires qui en viennent à les étonner eux-mêmes. Il était aisé d’un claquement de doigts de les faire tomber dans ses bras alors, quand on s’amusait à jouer au même jeu qu’il instaurait envers la personne dont il convoitait la grâce et la beauté, il ne pouvait n’être que conquis. Ce n’était pourtant pas ce qui était convenu.
Il se rappela les mots de sa maîtresse et déglutit quand le tengu se rapprocha encore dangereusement de lui. Ne l’avait-elle pas averti sur la dangerosité de ces esprits ? Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle parle de cela bien qu’il ne doutait pas un instant de la force dont pouvait faire preuve cette créature surnaturelle. Il en avait rencontré des esprits durant ces longues années à arpenter Kage No Machi. Moins des dieux que des yokais mais sa route avait croisé plusieurs créatures et il les connaissait les créatures ensorceleuses. Il pouvait s’agir de magie comme il pouvait simplement s’agir de leur personnalité. Est-ce que celui-ci comptait-il continuer à le charmer pour ensuite le lacérer ? Quand bien même se sentait-il flatté et tenté à l’idée de se laisser entraîner sur cette route sinueuse, il reprit contenance à rester sur ses gardes. Ici, ce n’était pas son terrain de jeu.

« Pourquoi doit-on systématiquement offrir à boire ou à manger pour faire la cour ? »

Illogique. Quand il le vit interloqué, il ne perdit pas de temps à user de son pouvoir de métamorphose pour le prendre plus au dépourvu. Il n’était qu’un guerrier, un être humain incapable d’user d’assez de force comme un esprit, une sorcière ou un dieu mais il avait suivi cet entraînement et son histoire du passé oublié faisait de lui quelqu’un de plus fort que la normale. Il transforma son bras droit en une patte de guépard comme il le fit avec ses jambes, déchirant légèrement ses vêtements, et saisit l’esprit par le col pour l’envoyer au fond du lac. Sauf qu’il sauta ensuite à son tour pour l’y rejoindre et plongea son regard dans le sien dans cette eau sombre mais lumineuse malgré le fait que les petites fées se soient écartées à leur approche. Il sourit et effleura du bout de ses doigts ses lèvres avant de remonter à la surface.

@Anan

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mars 2021

Il le met mal à l’aise, Ankoku, cet humain guerrier. Il le voit, il le sent, il le ressent. Tous les pores de sa peau transpirent l’interrogation, le désir de voir ce qui se cache vraiment sous le masque de corbeau. Et ça ne manque pas de faire frémir le concerné. Comment ne pas se sentir pousser des ailes quand le regard averse le dévore ? Comment ne pas se croire encore plus spécial, au moins un instant supplémentaire, quand les prunelles de l’humain aimeraient le sonder de part en part ? Alors il se pavane, à l’évidence, comme le ferait n’importe quel autre volatile afin de séduire un peu plus encore. Cependant, le charme ne risque pas d’être rompu car Ankoku est là, si près, si puissant. Son parfum s’étend dans l’atmosphère quand il bat des ailes, non pas pour s’envoler mais pour respirer.
Parce que cela fait cinquante ans, cinquante années que le yokai erre dans les rues de la ville fantôme. D’abord accompagné, maintenant abandonné. Il a eu le temps de faire ses connaissances, de faire ses preuves, et maintenant, qu’attendre de plus ? L’immortalité, il s’en est déjà lassé. Le temps risque de s’étirer à l’infini sans qu’il ne puisse quoi y faire. Les jours ne se comptent plus, les années sont oubliées à l’instar du passé. Néanmoins, au cours de ces instants, l’enfant tengu a pu apprendre des leurres, des tours, des farces. Il sait se montrer joueur ou dragueur, souriant ou épuisé. Les facettes de son existence se sont tracées tout autour de ses rencontres et les conquêtes ont été nombreuses.
Nombreuses, mais jamais amusantes plus de quelques longues heures. Mais à qui la faute ? Toujours rejetée sur les autres, la faute ne revient bien sûr jamais à Anan. Anan, ce garçon enfoui sous les plumes d’Ankoku. Masque d’emprunt bien pratique afin de ne pas trop en dire, afin de ne pas trop en dire. Mais qui es-tu vraiment, oui, Anan ? Ses lippes rosées se pincent à la réponse du guerrier, ses paupières se plissent légèrement, sans réellement comprendre. S’il lui plaît tant, ne peut-il pas lui faire la cour comme tous les autres ? Non. Parce que ce n’est pas drôle, de s’asseoir, de parler et de draguer.
Et l’eau s’engouffre dans les poumons, gonflant le hakama bicolore tandis que les prunelles rencontrent, humides, celles de son interlocuteur. L’animal sauvage qu’il est devenu dévoile une perspective nouvelle au yokai qui, non décontenancé, ne tarde pas à battre des ailes pour revenir se déposer avec habileté sur la rive. Face au brun, ses membranes sombres se secouent avant que le yokai trempé ne vienne plus près encore de l’humain. Ses doigts, aux ongles à mi-transformation avec ses serres, glissent sur la joue mouillée, entaillant légèrement le cou brillant. « Au lieu d’essayer de m’apprendre à voler, montre-moi comment respirer. » Et le myocarde palpite une seconde quand les lèvres mutines frôlent leurs semblables sans pourtant les y sceller. Le sous-entendu est évident et Ankoku se recule de plusieurs pas.
Les ailes déployées, le visage relevé vers l’astre lunaire qui étend ses rayons tout autour d’eux, le jeune homme relève une main comme pour tenter de le saisir. Un sourire s’étire sur son faciès tandis qu’il clôt à demi les paupières. « Peut-être que l’éternité vaut la peine d’être vécue, qui sait. »

( @isamu )

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Oui, il s’interrogeait. Pourquoi parmi les quelques tengus présents au village des esprits fallait-il que ce soit celui-ci sur lequel elle avait jeté son dévolu ? Elle lui avait appris qu’on ne savait pas grand-chose de ce tengu d’où le fait que la moindre erreur d’inattention s’avérerait fatale. Quel était son prénom ? Quel âge avait-il ? Avait-il toujours vécu à Kage No Machi ? Les questions l’assourdissaient alors que son corps se faisait conquérir à chaque battement d’ailes de l’esprit volage. Elle l’avait envoyé en connaissance de cause sans savoir que cet être pourrait être sa déchéance. Il avait vu de nombreuses personnes défiler autour de lui jusqu’à ce soir mais pas une seule n’avait réussi à le décontenancer comme cet esprit le faisait bien qu’ils se cherchent autant l’un et l’autre.

« Quel drôle d’oiseau tu fais. »

Il sourit et sortit hors de l’eau. Il vérifia qu’il n’avait rien perdu durant cette petite baignade et laissa le haut de son hakama tomber le long de son corps, dévoilant son torse glabre et ses muscles saillants. Sauf qu’il ne se pavana pas devant lui à lui montrer une partie de son corps parce qu’il n’en était pas fier. Elles faisaient partie intégrante de sa vie mais des cicatrices le parsemaient de part en part. Elles lui rappelaient pour la plupart qu’il avait eu une vie avant et que celle-ci n’était plus qu’un souvenir. Il se passa une main dans les cheveux et observa à son tour la lune qui leur rappelait sa présence de sa luminosité grandissante.
La mélancolie s’emparait de tous coeurs meurtris au village des esprits quand le temps éternel se faisait trop long. Il comprenait où voulait en venir le yokai mais il n’avait pas l’impression de suffoquer dans ce monde. De ce qu’on raconte les invités le temps des soirées festives, le monde des êtres humains avait l’air de n’être qu’un mauvais rêve. Un cauchemar trop réel et il l’avait déjà vécu une fois au point de se perdre jusqu’à l’irréel. Ici, il n’avait plus qu’un seul nom et, même si on lui demandait de n’être qu’une simple marionnette, n’était-ce pas plus aisé de vivre sans émotions ? Son âme ne se rappelait plus la souffrance des souvenirs perdues mais son corps se souvenait des lames bien affutées qui avaient pu trancher son être.

« Je ne crains de ne pas être en mesure d’accéder à ta requête. »

Il plongea son regard dans le sien et pourtant, glissa ses doigts dans ceux qui se tendaient vers la plus belle des étoiles de ce monde chimérique. Quand il eut ainsi capté les crocs acérés de ses prunelles, il se pencha vers son visage mais sans véritablement toucher ses lèvres des siennes. Le sang continuait de perler le long de sa gorge mais il n’était pas sûr que ce soit le liquide chaud qui soit en train de lui réchauffer les entrailles en cet instant.

@Anan

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mars 2021

Un drôle d’oiseau, n’est-ce pas ? Ce rapace qui étend ses ailes sous la clarté de la lune, songeant qu’en effet, peut être, l’éternité vaut la peine d’être vécue. Du moins un peu. Du moins en cet instant. Parce que tous les autres sont lents et se ressemblent, inlassablement. C’est pour cela que le tengu s’amuse des différentes âmes qui croisent son chemin, pour cela qu’il tente au mieux de se divertir de ce monde dans lequel ses souvenirs s’effritent un peu plus à chaque fois qu’il sourit. Et, en apercevant le torse empli de cicatrices de l’humain guerrier, il ne peut que se dire qu’il n’est pas le seul à souffrir.
Pourtant, ce n’est pas ce qu’on lui a promis, quand il est arrivé dans cette ville fantôme. Son maître lui a promis de l’élever au rang parfait, de faire de lui un combattant aux griffes acérées ; seulement, même cet homme sur qui Ankoku comptait a disparu du jour au lendemain. Sans la moindre explication laissée derrière lui. Le goût amer de l’abandon sur les lèvres, le jeune homme se les mordille quand ses prunelles glissent encore une fois sur celles de son interlocuteur, venu au plus près de lui. Si proche qu’il entend son cœur battre sous sa poitrine et qu’il peut respirer les effluves de son parfum.
Alors, aussi lentement que ses mains humaines se séparent enfin des ongles saillants, le yokai dépose ses doigts sur le poitrail du jeune homme – qu’il a déjà deviné être plus âgé que lui, du moins, dans le monde des esprits. « Alors à quoi bon tout ceci ? » Ses lippes remuent, presque frémissantes de ce contact qu’il ne rompt pas. « Si tu ne peux accéder à ma requête, alors il est temps pour toi de repartir d’où tu viens. » Parce qu’il n’a rien à faire ici, dans cet endroit paisible où les créatures surnaturelles s’abreuvent en silence, où Ankoku peut enfin s’étendre et n’être qu’Anan, ce garçon qui apprécie l’art plus que de raison. « Va-t’en, guerrier tigre, ou peu importe en quoi d’autre tu peux te transformer. »
Les ailes sombres du corbeau se sont rangées, là, bien sages, entre ses omoplates dont le hakama bicolore possède des fentes astucieuses afin de ne jamais déchirer l’habit. Ses phalanges quittent le torse de son vis-à-vis, pupilles plantées dans les siennes comme en signe de défi. Partira-t-il vraiment ? Et dans ce cas, le yokai moqueur s’en souciera-t-il vraiment ? Il glisse une main dans sa chevelure noire, la tête un peu penchée sur le côté, les lèvres rosées étirées en un délicat sourire, charmeur, charmées ? Qui sait. Le divertissement est bien agréable même si la requête est rejetée. De toute façon, il y a bien longtemps qu’Anan a fini de croire aux belles promesses.
Autour d’eux, les feuillages bruissent doucement tandis que le vent se lève, chantant entre les arbres, emportant quelques poussières sur son passage. L’on entend des oiseaux, perchés dans les branchages, qui appellent, qui sifflent. Attentif à la nature qui se déploie alentour, Ankoku s’est permis de refermer ses paupières, gonflant sa poitrine de cet oxygène si pur. Et il veut se sentir terrorisé, Anan. Il veut être terrorisé, apeuré, de rouvrir les yeux et de se retrouver seul.

( @isamu )

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